Ces petits souvenirs qui nous façonnent

Résumé : Des souvenirs minuscules s’impriment en nous et traversent les années. Un abricot offert au marché révèle que l’ordinaire transmet le mieux : tendresse, audace, liberté. Ces instants façonnent nos préférences, nos comportements et nos valeurs. Ils deviennent des racines invisibles qui nous construisent et se transmettent.

INSPIRATION

Nathalie Rouzau

9/11/20253 min read

Il y a des instants minuscules qui s’impriment en nous avec une intensité surprenante. Ils ne durent qu’un moment, parfois à peine quelques secondes, et pourtant ils traversent les années comme s’ils venaient de se produire.

L’autre jour, en discutant avec un ami, nous partagions des souvenirs d’enfance. Il m’a raconté une scène avec son grand-père. Il devait avoir 5 ans à peine. Ce n’était pas un événement grandiose, pas une aventure exceptionnelle, mais un moment ordinaire, tendre et marquant. Un fragment de vie qui s’est gravé dans sa mémoire et dans son cœur.

En l’écoutant, je me suis souvenue à mon tour une scène avec mon arrière-grand-père. J’étais très jeune, peut-être 5 ou 6 ans. Le lundi matin, nous allions ensemble au marché. Nous descendions vers la place de la Liberté, puis nous montions jusqu’à la halle couverte, en passant au milieu des étals et de la foule.

Un jour, mon arrière-grand-père s’est arrêté devant un primeur. Sans rien demander à personne, il a pris un abricot, l’a ouvert en 2 et me l’a tendu. Je me souviens encore de la stupeur que j’ai ressentie. Comment pouvait-il se servir ainsi, sans payer ?! Moi, l’enfant bien sage, j’étais bouleversée par ce geste qui me semblait interdit. Mais très vite, cette émotion a laissé place à une autre : la joie. La joie de recevoir cet abricot offert, choisi parmi tous les fruits, pour moi.

L’écho des petits gestes

Avec le recul, je réalise à quel point ce souvenir est resté vivant. Ce n’était qu’un moment minuscule, une poignée de secondes dans une vie entière. Pourtant, il a suffi pour que je garde de mon arrière-grand-père une empreinte indélébile.

Il est étonnant de constater combien les souvenirs qui nous marquent le plus ne sont pas forcément les plus spectaculaires. Ce ne sont pas toujours les grandes fêtes, les voyages, ou les événements marquants. Souvent, ce sont des gestes anodins, des détails du quotidien.

Ces souvenirs inscrivent profondément nos parents, nos grands-parents, nos aïeux en nous. Chacun de ces instants gravés a contribué à façonner notre identité.

Quand les souvenirs deviennent des racines

Nous portons ces souvenirs comme des racines invisibles. Ils nous rappellent d’où nous venons, ce que nous avons reçu, consciemment ou non. Ils s’ancrent dans notre mémoire et, sans que nous nous en rendions toujours compte, ils influencent la façon dont nous nous construisons.

Le geste de mon arrière-grand-père, à la fois tendre et désinvolte, a inscrit en moi plusieurs facettes de lui. Peut-être que mon appétence pour les abricots vient de ce jour-là. Peut-être aussi que mon étonnement face à son audace a éveillé ma propre réflexion sur les règles, les transgressions, et sur la liberté de choisir ses gestes.

C’est ainsi que les souvenirs façonnent peu à peu notre personnalité :

  • Ils influencent nos préférences (un fruit, une odeur, une couleur…).

  • Ils orientent nos comportements (la façon d’offrir, de partager, d’oser ou non).

  • Ils colorent nos valeurs (la générosité, la tendresse, l’importance accordée à la liberté).

Ces instants deviennent des fragments de ceux qui nous ont précédés et que nous portons en nous. Dans nos choix, dans nos relations, dans la manière dont nous transmettons à notre tour, leur présence continue de vivre.

C’est peut-être là, au fond, le vrai pouvoir de la transmission : non pas dans les grands discours, mais dans ces petites attentions, ces instants qui semblent anodins sur le moment, et qui contribuent à faire de nous les individus singuliers que nous sommes.

Une part de qui je suis

Aujourd’hui, je mesure combien cet abricot offert au détour d’un marché fait encore partie de moi. Ce souvenir, aussi bref soit-il, a ancré la présence de mon arrière-grand-père dans mon cœur et dans ma façon d’être.

Nous ne savons jamais vraiment ce qui, dans nos paroles ou dans nos gestes, marquera profondément ceux qui nous entourent. Mais peut-être que c’est justement cela la beauté des souvenirs : ils nous façonnent à notre insu, et continuent de vivre en nous bien longtemps après.